Artistes et écrivains d'hier & d'aujourd'hui :

La ville d'Oran continue de vivre en se livrant à la folie générale et à quelques infanticides. Celui de Abdelkader Alloula, le dramaturge qui a su conférer au théâtre algérien une dimension sociale et politique tout en préservant le coté artistique de cet art. Celui de Hasni, le Julio algérien qui avait conquis le cœur de toute la jeunesse, notamment, Khaled et Mami, qui ont fait de sorte que le raï oranais devient le genre dominant sous l’impulsion. L'art résistera t-il a l'assaut du terrorisme intégriste dans cette ville ?... 
Telle est la question qu'on se pose continuellement dans cette métropole de culture qui a vue naître tant de prodiges.

Sommaire

Littérature et poésie
Théâtre
Musique
Art plastique

Littérature

La pierre d'Ariane

A.CamusIl semble que les Oranais soit comme cet ami de FLAUBERT qui, au moment de mourir, jetant un dernier regard sur cette terre irremplaçable, s'écriait : " Fermez la fenêtre, c’est trop beau. " Ils se sont emmurés, ils ont exorcisé le paysage. Mais le Poittevin est mort, et après lui, les jours ont continué de rejoindre les jours. De même, au-delà des mures jaunes d’Oran, la mer et la terre poursuivent leur dialogue indifférent. Cette permanence dans le monde a toujours eu pour l’homme des prestiges opposés. Elle le désespère et l’exalte. Le monde ne lui dit jamais qu’une seul chose, et il intéresse, puis il lasse. Mais a la fin, il l’emporte à force d’obstination. Il a toujours raison.
Déjà, aux portes d’Oran, la nature hausse le ton. Du coté de Canastel, ce sont d’immenses friches, couvertes de broussailles odorantes. Le soleil et le vent n’y parlent que de solitude, au-dessus d’Oran, c’est la montagne de Santa Cruz, le plateau et les milles ravins qui y mènent. Des routes, jadis carrossables, s’accrochent au flanc des coteaux qui dominent la mer. Au mois de janvier, centaines sont couvertes de fleurs. Plaquerettes et boutons d’or en font des allées fastueuses, bordées de jaune et blanc. De Santa Cruz, l’oublierais les cortèges sacrés qui gravissent la dure colline, aux grandes fêtes, pour évoquer d’autres pèlerinages. Solitaires, ils cheminent dans la pierre rouge, s’élèvent au-dessus de la baie immobile, et viennent consacrer au dénuement une heure lumineuse et parfaite.
Oran a aussi ses déserts de sable: ses plages. Celles qu'on rencontre, tout près des portes, ne sont solitaires qu'en hiver et au printemps. Ce sont alors des plateaux couverts d'asphodèles, peuplés de petites villas nues, au milieu des fleurs. La mer gronde un peu, en contrebas. Déjà pourtant, le soleil, le vent lérer, la blancheur des asphodèles, le bleu cru du ciel, tout laisse imaginer l'été, la jeunesse dorée qui couvre alors la plage, les longues heures sur le sable et la douceur subite des soirs. Chaque année sur ces rivages, c'est une nouvelle moisson de filles fleurs. Apparemment, elles n'ont qu'une saison. L'année suivante, d'autres corolles chaleureuses les remplacent qui, l'été d'avant, étaient encore des petites filles aux corps durs comme des bourgeons. A onze heures du matin, descendant du plateau, toute cette jeune chair, à peine vêtue d'étoffes bariolées, déferle sur le sable comme une vague multicolore.
" Cité heureuse et réaliste, Oran désormais n'a plus besoin d'écrivains: elle attend des touristes." A
lbert Camus.

Oran qui aura inspiré Camus le Minotaure et la Halte d'Oran. Ville également de l'écrivain Emmanuel Robles en qui elle suscitera Saison violente.
"Pour le moment, je suis inactif dans la ville la plus indifférente du monde. Quand j'irais mieux, je crois que j'en sortirais", décide Camus. Il quitta Oran en avril 1942. Sans avoir pénétré de ses sens dans la rue des juifs (Derb-Lihoud), "les tonneaux d'olives, les galettes blanches aux entournures brunes, le pain azyme! Les olives noires, les vertes cassées, les anchois, odeurs ô multicolores, criailles! Étoffes!".
Cette Oran-là fut vécu par son compatriote Jean Sénac, ville ou il arriva à l'âge de trois ans en 1929. Jean Sénac que Camus le père appelait "hijo mio". Surnommé aussi Yahia el-Ouahrani. "L'Oranais ! Qu'est-ce que tu en sais et de quel Oranais parles-tu ? L'Espagnol, l'Arabe, le Juif, le Français ? Dans cette ville ou les races se croisent et s'affrontent, chacune serrée dans son ghetto. Dans cette ville déjà maudite (par Ibn Khaldoun), par lui (selon Camus); qu'il retourne à l'adultère et au crime."
De sa relation avec Camus, Sénac dira : "Comme il y a l'impossible amour, il y eut l'impossi
ble amitié."

Poésie

Chant de Azzeddine Chabane 

Oran la belle, Oran la fière
Oran la ville aux mille
détours, aux mille
contours, aux multiples
facettes toutes de chant et
de lumière ensorcelées,
Oran scellée par des
siècles d'histoire
tumultueuse,
négligemment blottie dans
les bras protecteurs du
Murdjadjo, Oran reflétée à
l'infini par une
Méditerranée qui ne se
lasse pas de murmurer
d'inlassables complaintes
et d'étourdissantes
sérénades selon les temps,
Oran, Oran, Oran la belle.
D'où que vous veniez, vous
n'échapperez pas à ce
choc de la première

rencontre av une cité à la
fois proche et lointaine,
hautaine et généreuse,
baignée de soleil et de
senteurs, vous
n'échapperez pas aux
grappes d'enfants
vermeilles, dont les yeux
ont des éclats magnifiques
et dont le rire, l'étrange
rire, a la force brutale de la
vérité.
Qu'elle était verte, la vallée
des souvenirs, et
chaleureuse l'atmosphère
des rues trempées par une
persistante odeur de
sardines aux cent
parfums, citron et piments
confondus, qu'il était doux,
le temps pressé, le temps
passé, des kémias un peu

partout et du ressac des
vagues folles qui
caracolent en moussant
à chaque recoin de la
corniche.
Oran l'extase. Oran qui va
de phase en phase se
retrouvant malgré les
quartiers à revoir, les
chantiers à prévoir, les
colliers d'autoroutes
depuis peu éparpillées, le
sautoir à son cou accroché pour des nuits de lumière,
vaste refrain de
lampadaires rétro qui lui
confère un rien de m'as-tu-
vu, Oran se pare, année
après année, toujours plus
belle, et mérite d'être
encore et encore
racontée..


Théâtre

Abd-El-Kader Alloula : Un dramaturge d'exception.

A.AlloulaL'homme avait une grande taille et la silhouette massive des moustaches en pointe un peu à la mousquetaire, le sourire, toujours le sourire, mais malgré la célébrité, une simplicité à vous confondre. Jamais rien de théâtral ne transparaissait dans ses gestes ou ses attitudes de la vie courante, et quand on avait vu ses pièces et la générosité sans bornes de sont art, on ne savait plus qui de la scène ou du quotidien relevait du sacerdoce chez lui.
Dans le théâtre que se propose Alloula, comme les pièces parlées, la fonction de la parole et le texte en tant que matériau linguistique constitue un espace d'intervention privilégié car, je cite Alloula, : "la nouvelle théâtrale que je propose est toute induite dans le mot, dans la parole, dans le récit de l'agencement de la fable."
Il mettra la vie avec ses conflits et ses combats, ses incontournables engagements. Partout et toujours, il chantera l'amour, la bonté, la solidarité, l'intégrité, mais pas ceux des dandys, ceux des travailleurs, des gens dont l'honneur reste le travail honnête et bien fait.

Il inaugure en Algérie, sauf grossière erreur, le monologue. Exercice épuisant, esthétiquement périlleux, que ne peuvent réussir que grands acteurs, sinon ça tourne à la farce. Il ouvrait un champ d'avant-garde malgré la surveillance soupçonneuse des pouvoirs publics de l'époque.

Au TNA (Théâtre National Algérien), on encourageait en vain les comédiens à parler l'arabe classique, incompréhensible par le plus grand nombre! - Alloula choisit, lui, l'arabe dialectal pour être au plus près de ses spectateurs, nourrie par la vie de tous les jours. Et son théâtre comme celui de Kaki, très simplement inspiré de la tradition orale. Dans Le Pain, un de ces hommes du petit peuple qu'il affectionne tant. Le héros a décidé de composer un livre sur la société et ses rouages grippés. A la fin, on le voit décoré par le ministre! L'ironie, subtile, plaît: c'est succès. 
Ou encore, El-Ajouad - Les Généreux -, créés en 1984, qui présentent une galerie de portraits où figure le petit peuple oublié par la grande machine révolutionnaire. 

Programme du dernier spectacle d'Alloula: Arlequin, valet de deux maîtres de Goldoni, au théâtre régional d'Oran
Alloula a été victime du terrorisme intégriste, exécuté dans la rue, le 10 mars 1994, alors qu'il se rendait à la Maison de la culture d'Oran pour y donner une conférence.

 

LES GÉNÉREUX (Extrait)

Djelloul sait comment il faut parler aux chauffeurs de taxi ; il sait ouvrir la voie à la discussion avec eux. Il leur dit: " Vous êtes victimes d'une injustice, oui d'une injustice ! On vous a donné ces petites voitures alors que vous êtes les bienfaiteurs de l'humanité; ces véhicules sont étroits et ils ne peu vent contenir grand monde. En vérité, vous, les taxis, êtes plus utiles que les bus du gouverne ment.. Vous ramassez et rejetez des passagers tous les vingt mètres !... On aurait dû vous doter de camions à bestiaux en guise de taxis.. Vous seriez encore plus utiles."
Il sait parler, Djelloul ! Mais il a une faiblesse... Nerveux; il s'impatiente, se laisse gagner par la fébrilité, se met en colère et gâche tout!
Quand il va retirer un document administratif, Djelloul le Raisonneur sait comment saluer les agents de l'État ; il sait apprécier le spectacle qu'ils offrent et il les laisse travailler à leur aise. Il sait distinguer ceux qui ont des appuis de ceux qui n'ont rien. Il sait distinguer le rigoureux du vorace et du corrompu. 
Si des policiers l'arrêtent en route, dans le cadre de l'une de ces campagnes d'hygiène, Djelloul sait montrer rapidement la carte d'identité, la carte professionnelle, la carte électorale et le livret de famille ; il sait, Dielloul, parler poli ment aux policiers ; mais, en revanche, il ne sait pas, Djelloul monter en vitesse dans la voiture bleue ; il trébuche toujours sur la première marche car il est nerveux, il s'impatiente, se laisse gagner par la fébrilité, se met en colère et gâche tout. 
Djelloul le Raisonneur sait parler de la religion et des valeurs morales et humanistes qu'elle recèle. Il est instruit des choses de la religion et du prophète Mohamed - que le salut et la bénédiction soient sur lui. Djelloul sait faire de l'exégèse à ses enfants et il les met en garde contre les tendances dangereuses. Il leur dit toujours : " Notre sainte religion est la religion de l'égalité; l'islam est la religion de la concertation, de la dignité et de la solidarité avec les déshérités ; ce n'est pas la religion de la violence et de l'obscurantisme."
Il en sait... Mais il a une faiblesse! Nerveux, il s'impatiente, se laisse gagner par la fébrilité, se met en colère et gâche tout. 
Djelloul le Raisonneur sait ana lyser une situation; il sait regarder avec clairvoyance tout ce qui se passe dans le pays: il sait combien se négocie un pas-de-porte, ce que coûte un lot de terrains à bâtir et à combien s'échange l'argent français. Djelloul ne sait pas danser alaoui, certes, mais il a vu comment les mers s'ouvrent et comment bougent les montagnes quand les épaules se mettent en mouvement.

Musique

Raï

Le Raï est un genre de musique unique en Algérie et typiquement oranais, il s'attache à dire les choses crûment parce qu'il est fondé sur la transgression et la rébellion, parce qu'il s'oppose au puritanisme ambiant, contrairement aux autres genres comme la musique arabo-andalouse qui est basée sur le symbole.
Lorsque, dans les années 20, des paysannes nées dans des familles de pauvres nomades bédouins sont arrivées à Oran poussées par l'exode rural, elles ont d'abord joué les meddahates, mendiant leur pain en chantant la bonne morale, les fastes et la grandeur de l'islam. C'est ainsi que Cheikha Rimiti, la doyenne des chanteuses de raï, a fait ses débuts. Plus tard, hébergé dans les bouges d'Oran, le raï s'est emparé du répertoire libertin des chants de femmes pour les femmes, qui valorisent l'homme puissant et protecteur. Dans cette société qui sépare les sexes, les cercles d'hommes ont aussi des chants grivois du même genre, mais ils sont plus négatifs, dénigrant la femme sur le mode de la galéjade et de l'obscénité, exprimant une angoisse à l'égard de son appétit sexuel supposé démesuré!
Nourri aux mamelles du cosmopolitisme oranais, le melting-pot raï puise dans le chaâbi aux origines arabo-andalouses, le musette du colon français ou le flamenco de l'Espagne voisine avant de s'intéresser à la rumba latine ou au reggae jamaïcain, Très vite, il exprimera le mal de vivre de toute une génération.


Les précurseurs du raï (Ahmed Wahbi, Ahmed Saber et Blaoui Houari) 

Khaled

Meilleur ambassadeur du raï, le King Khaled est devenu un chanteur à la renommée internationale. 
Si la sonorité de ses chansons sonne plus world music, la rythmique s'inscrit toujours dans la plus pure tradition populaire oranaise.  

 

 

 

Mami

Le premier chanteur qui a su faire entrer le raï par effraction à la télévision algérienne à travers un radio-crochet (Alhane wa chabab) auquel il a participé. Il chante El Marsam (Le refuge) sous les vivats d'une foule déchaînée.

Une voix romantique, étonnamment claire, il fait mouche à tous les coups s'il décide de charmer l'auditoire. 

 

 

Cheb Hasni

En 1987, Cheb Hasni, lâchement assassiné le 29 septembre 1994, lance le raï love, s’adressant plus à l’affect qu’aux hanches. Hasni est le plus populaire des chanteurs oranais, depuis l'été meurtrier de 1992 où sa chanson, Le Visa (800 000 exemplaires vendus), a rencontré un écho formidable.

LE VISA

J'avais décidé de rejoindre ma bien aimée
Honte à vous, vous m'avez peiné
Vous avez été jusqu'à me priver du visa
Vous voulez ma mort ou quoi ?
je vais me saouler et tout casser
Pourquoi cette injustice
Alors que mon passeport est valide
Et que je ne tiens pas à faire des histoires
Au nom de Dieu, je veux juste voir ma bien-aimée
Ne serait-ce que pour une heure et je reviens
Donnez-moi ce visa, elle me manque trop
Je vous le demande gentiment
Je ne cherche pas d'esclandre
Mon Dieu, même ici « je n'ai pas de chance »*
Il me reste cet obstacle à franchir
Pour retrouver mon amour en France.
(Traduction Rabah Mezouane.)
* En français dans le texte.